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NOËLS ANCIENS

Nos chimistes modernes calculent et graduent, avec une précision étonnante, la puissance redoutable des fulminates. Quel moraliste, quel penseur mesurera jamais l’intensité de cette joie, la force expansible de cette allégresse qui dilata soudain, avec la dangereuse instantanéité de la poudre, le cœur de ces vieux Canadiens, nos ancêtres, quand arrivèrent de France, avec nos gens, ces premières lettres de paysans à paysans, d’ouvriers à ouvriers, de soldats à soldats, humbles missives à l’orthographe boiteuse, au style barbare, mais dont l’inconsciente éloquence dépassait les meilleurs effets des chaires de rhétorique. Avec la constance invincible, l’inaltérable patience, le courage stoïque et l’inébranlable foi des martyrs, nos pères les avaient attendues trente ans ! Et elles vinrent !

Quelle séduisante étude pour l’archiviste-historien que la critique comparée des correspondances particulières, écrites au lendemain de cette tempête effroyable qui emporta d’un seul coup trône, autel, patrie : lettres naïves, vulgaires, banales, mais fleurant la belle simplicité des honnêtes gens, véritables questionnaires où demandes et réponses étaient à ce point identiques que, de l’est à l’ouest de l’Atlantique, les lettres échangées ressemblaient aux échos d’une même voix répercutée par deux rivages. — Qui était mort ? depuis la catastrophe ; qui avait survécu ? Qui possédait maintenant le bien paternel ? Parlait-on toujours français à Québec ? Et les vieux cantiques accoutumés, Venez, divin Messie, Ça, bergers, assemblons-nous, Dans cette étable, se chantaient-ils encore dans les églises au temps de Noël ? — La joie de la population tenait du délire. On cessa de copier les classiques au Séminaire, comme, à l’Hôtel-Dieu, les Poésies chrétiennes de Pellegrin dont les exemplaires se distribuaient maintenant par toutes les campagnes.

Le 26 juin 1794, débarquait à Québec, un jeune prêtre âgé de vingt-huit ans ; il se nommait Jean-Denis Daulé, le bon Père Daulé dont j’ai longuement parlé aux premières pages de cette étude. En reconnaissance du cor-