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Page:NRF 11.djvu/116

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IIO LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

son amour-propre de poète à rester à Tavant-garde, à ne point paraître un attardé, à ne point se laisser dépasser par les jeunes audaces. C'est, je crois, une des raisons pour lesquelles il abandonna les qualités secondaires de tenue qui, transmises d'un style antérieur, lui paraissaient scolaires, et se lança, au détriment de ses mots et de sa syntaxe, vers des moyens d'expression plus romantiques et plus personnels. Comme il n'avait pas — loin de là — la santé verbale d'un Hugo, il marcha avec peine, dans un chemin hérissé de difficultés et de pièges, il sentit la langue broncher et fondre sous son effort infructueux, il se décou- ragea, laissa échoués, dans son Journal^ sans moyen de les réaliser, ses beaux plans de poèmes. Il fut, au contraire du mot de Bonald, une intelligence et une âme poétiques trahies par leurs organes.

Il a exalté " le bonheur de l'inspiration, délire qui sur- passe de beaucoup le délire physique correspondant qui nous enivre entre les bras d'une femme ". Mais cette inspiration, chez lui, n'est pas création. Elle se dissipe stérilement. Il ne réussit jamais à donner, comme Lamar- tine et Victor Hugo, par le travail qui la suit, qui la matérialise et la fait descendre, l'illusion de sa présence, de son abondance, de sa flamme ; s'il en a éprouvé le bonheur, il ne l'a pas communiqué.

Le cas d'Alfred de Vigny est le même que celui de Baudelaire et de Mallarmé. Tous trois sont de grands poètes qui ne disposent pas d'une langue assez sûre, à qui manque la grammaire habituelle et spontanée de leur art, qui sont obligés à une lutte perpétuelle et ingrate où ils s'épuisent. Et Baudelaire et Mallarmé, d'éducation roman- tique, n'avaient pu débuter par la continuité tempérée

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