LE CINQUANTENAIRE D ALFRED DE VIGNY III
d'une Eloa. Remarquons que si la ressource habituelle et spontanée leur manque à tous trois, il n'en est pas de même de ce qui appartient à la conscience et à l'intelli- gence. Tous trois sont des poètes intelligents, des poètes qui pensent, et qui, beaucoup plus que les grands protago- nistes de génie derrière lesquels ils prennent place, sont doués d'esprit critique. Mais l'esprit critique et la puis- sance de construction artistique vont-ils ensemble ? Je crois bien qu'ils allaient ensemble chez les classiques, et je ne sais si le génie classique n'implique pas, nécessaire- ment, un élément proportionné d'esprit critique. Peut-être Racine, chez qui il y avait moins d'étoffe spontanée que de justesse et d'économie, de réflexion et d'art, et qui unissait à une sensibilité violente l'intelligence la plus saine et la plus mesurée, courait-il, sans y être tombé jamais, au même degré, un risque analogue à celui de Vigny, de Baudelaire et de Mallarmé. Il en était préservé par ce qui fait l'atmosphère même d'un siècle classique, par cet esprit de bienveillance mutuelle et de bonne domesticité, grâce auquel on peut " humblement sup- plier " sans déchoir, obtenir ce qui vous manque en imi- tant celui qui le possède, en gardant dans cette imitation sa liberté ; il pouvait prendre son bien où il le trouvait, s'appuyer, là où son génie fléchissait et se taisait, sur le présent et sur le passé. Racine est loin, aussi, de posséder sa langue par le centre et par le sang, comme Corneille ou Victor Hugo, de la maintenir comme eux en état perpétuel de tension et de création vigoureuses et sans effort. (Et Victor Hugo lui-même l'avait fort bien remar- qué. Ses critiques de la langue racinienne, relatées d'après ses conversations par M. Paul Stapfer, sont parfois, seule-
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