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Page:NRF 11.djvu/208

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202 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ce Chassériau de qui Ton a dit qu'il harmonise Ingres et Delacroix, et qui, en réalité, ne prit conseil que de soi-même, de ses passions, et de son âme étrange, sombre et riche à la fois, voilà vraiment celui qui humanise et qui déforme son maître, non pas dans le sens du métier,, mais au moral, avec des réflexions, et, tant il est musical déjà et ne s'adresse qu'à l'âme, des répercussions et des résonnances autrement intimes, subtiles et suaves que Manet. Je n'irai pas le chercher dans les divins fragments de la Cour des Comptes, si mélodieux pourtant, mais si pondérés et accomplis, et qui semblent d'un Puvis de Chavannes plus libre et plus moelleux. Je pense surtout à la Suzanne, à VEsther, à la Fénus Anadjornène, à ces merveilleuses tiges de vie et de beauté, élancées et fragiles, qui exagèrent encore l'allongement, le reploiement, et ce qu'il y a de sinueux et de serpentin dans certaines figures du maître de VOdalisque, de la Baigneuse et de la Source. Le voilà, celui qui rompt véritablement la ligne d'Ingres,, et non pas pour la distribuer sur de nouveaux plans de couleur, mais pour lui infuser plus de délicatesse, et par conséquent, hélas ! on ne sait quoi* d'un peu mol et lan- guide qui sent celui que la maladie a touché. Je ne puis jamais me rappeler le Tepidarium sans être ému, même à distance, par le sens exquis, à la fois décent et voluptueux, et déjà presque abandonné, de cette page incomparable, belle comme une sonate de Mozart, et aussi pleine de sublime facilité. On y entend percer, comme recueilli et résumé en pathétiques accents, le suprême adieu à la vie de tous ceux qu'un sort con- traire va trancher en pleine force de jeunesse et de génie. Quelle dignité, quelle mélancolie souriante et quelle réserve ! Que de tendre pudeur exhalée, et quel adorable

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