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232 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Heldenbruck ; j'étais affamé de merveilles, crédule et de tendre curiosité. Plus tard Baldi m'instruisit de ses tours ; mais de pénétrer leur secret ne put effacer la première impression du mystère lorsque, le premier soir, je le vis tout tranquillement allumer à l'ongle de son petit doigt sa cigarette, puis, comme il venait de perdre au jeu, extraire de mon oreille et de mon nez autant de roubles qu'il fallut, ce qui me terrifia littéralement, mais amusa beaucoup la galerie, car il disait, toujours de ce même air tranquille : " Heureusement que cet enfant est une mine inépuisable ! "

" Les soirs qu'il se trouvait seul avec ma mère et moi, . jj il inventait toujours quelque jeu nouveau, quelque surprise ^ ou quelque farce ; il singeait tous nos familiers, grimaçait, se départait de toute ressemblance avec lui-même, imitait toutes les voix, les cris d'animaux, les bruits d'instruments, tirait de lui des sons bizarres, chantait en s'accompagnant sur la guzla, dansait, cabriolait, marchait sur les mains, bondissait par dessus tables ou chaises, et, déchaussé, jon- glait avec les pieds, à la manière japonaise, faisant pirouetter le paravent ou le guéridon du salon sur la pointe de son orteil ; il jonglait avec les mains mieux encore ; d'un papier chiffonné, déchiré, faisait éclore maints papillons blancs que je pourchassais de mon souffle et qu'il maintenait suspendu en l'air au-dessus des battements d'un éventail. Ainsi les objets près de lui perdaient poids et réalité, présence même, ou bien prc* naient une signification nouvelle, inattendue, baroque distante de toute utilité. " Il y a bien peu de choses ave^ quoi il ne soit pas amusant de jongler ", disait-il. Ave cela si drôle que je pâmais de rire et que ma mère s'écriail

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