Page:NRF 11.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 527

��LETTRES ANGLAISES

CHANCE, a taie in two parts, by Joseph Conrad (London, Methuen, et Tauchnitz, 2 vol. 19 14).

Dans ce nouveau roman, qui forme le quatorzième volume de son œuvre, Joseph Conrad semble avoir accumulé à plaisir les obstacles entre le lecteur pressé et Tintrigue qui sert d'arma- ture à son ouvrage. Il débute par un récit qui n'a pas grand lien avec le reste du roman ; qui n'a même pas de lien de tout, à y regarder de près, avec ce qui suit, mais qui est un hors- d'œuvre exquis, capable d'exciter l'appétit de tout amateur de bons livres. Puis l'intrigue est amenée lentement, par fragments de dimensions inégales. Le narrateur supposé ne fait que rapporter, avec ses interruptions et ses exclamations à lui, le récit d'un ami, qui lui-même, la plupart du temps, raconte ce qu'il a entendu raconter par une autre personne. Tous ces personnages dont nous entendons ainsi parler sortent, aux dernières pages, de leur éloignement, et nous sont présentés face à face, mais quand déjà ce que nous savons d'eux appartient à leur passé. L'idée n'est pas mauvaise. Néanmoins plusieurs critiques se sont faits l'écho du lecteur pressé et ont reproché à Chance une obscurité et une confusion qui n'y sont pas. C'est un procédé familier à Joseph Conrad : la narration indirecte. Il en a usé ailleurs, toujours avec succès. D'abord cela donne un recul nécessaire à la description des événements tragiques ; mais surtout cela répond à un des besoins du roman moderne, que la conscience pénètre de plus en plus. Il faut qu'un roman moderne ait une conscience, une faculté critique et morale agissante quelque part : dans les romans de Conrad, cette conscience, c'est le narrateur supposé. Quant à l'intrigue, peu nous importe. Une des conditions d'existence du roman anglais.

�� �