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ligence et à la raison de ses juges Eratosthène, traduit en justice pour avoir tué l'amant de sa femme qu’il a pris en flagrant délit. Un avocat, aujourd’hui, ferait acquitter son client en plaidant la passion, en se passionnant lui même avec le trémolo que vous savez. Lysias, lui, s’attache, avec la plus subtile habileté, à purifier l’affaire de tout élément passionné. Eratosthène raconte de la manière qui sera la plus plaisante pour les autres, à la façon d’un fabliau ou d’un conte de Boccace, les ruses de sa femme, qui couche avec lui au premier étage, la servante complice qui est en bas, avec l’enfant, et qui le pince pour le faire crier, le mari qui envoie la mère lui donner le sein pour le faire taire, celle-ci qui feint de résister parce qu’elle a peur que son époux ne lutine, pendant qu’elle n’y sera pas, la petite servante, et qui, l’enfant criant toujours, finit par descendre retrouver en bas l’amant qui l’attend. Puis, quand la servante a tout découvert à Eratosthène, le flagrant délit, les voisins convoqués comme témoins, et l’amant (qui, dans l’usage athénien, en était généralement quitte avec la cendre chaude et le raifort) mis à mort, très posément, par le mari. Devant ces cinq ou six cents héliastes, le bon système de défense consiste à ne rien dramatiser, à peindre la réalité fine, dépouillée, nue. C’est de cette façon d’ailleurs que Lysias gagnait, paraît-il, tous ses procès. Transportons-nous maintenant dans V Anthologie de M. Payen. Voici une plaidoirie, au cours d’un procès en séparation de corps, pour M°’* C..., plaidoirie qui " était considérée par son auteur lui-même, comme l’une des meilleures qu’il eût prononcées ". L’auteur est Waldeck-Rousseau, qui poussait assez loin, je crois, la maîtrise de soi et le mépris des hommes. Il ne s’adresse pas à une foule de six cents jurés, mais à trois docteurs en droit, aussi blasés sans doute qu’il l’est lui-même. Voici son langage :

" Tout mari est, à un moment déterminé, son propre arbitre ; il peut étouffer les explosions de sa colère, il peut se taire, il peut s’imposer le silence, et alors si quelqu’un laisse