débouché de la grand’rue, ne pouvant fuir les regards du café et du bureau d’omnibus, recevant sur son visage la moitié du rayon de soleil couchant — et bientôt, dans quelques heures, de la clarté du réverbère — dont le bureau du Comptoir d’Escompte recevait l’autre moitié, gagnée en même temps que lui par le relent des cuisines du pâtissier, soumise à la tyrannie du Particulier au point que, si j’avais voulu tracer ma signature sur cette pierre, c’est elle, la Vierge illustre que jusque-là j’avais douée d’une existence générale et d’une intangible beauté, la Vierge de Balbec, l’unique (ce qui, hélas, voulait dire la seule), qui, sur son corps encrassé de la même suie que les maisons voisines, aurait, sans pouvoir s’en défaire, montré à tous les admirateurs venus là pour la contempler, la trace de ma craie et les lettres de mon nom, et c’était elle enfin, l’œuvre d’art immortelle et si longtemps désirée, que je trouvais métamorphosée ainsi avec l’église elle-même, en une petite vieille de pierre dont je pouvais mesurer la hauteur et compter les rides. L’heure passait, il fallait retourner à la gare. N’accusant de ma déception que des circonstances particulières, la mauvaise disposition où j’étais, ma fatigue, mon incapacité de savoir regarder, j’essayais de me consoler en pensant qu’il restait d’autres villes encore intactes pour moi, que je pourrais, prochainement peut-être, pénétrer comme au milieu d’une pluie de perles dans le frais gazouillis des égouttements de Quimperlé, traverser le reflet verdissant et rose qui baignait Pont-Aven ; mais pour Balbec dès que j’y étais entré c’avait été comme si j’avais entrouvert un nom qu’il eût fallu tenir hermétiquement clos et où, profitant de l’issue que je leur avais imprudemment offerte, en chassant
Page:NRF 11.djvu/931
Apparence