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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 94I

Ils le disaient avec un roulement d'r paysan, sans y mettre d'aigreur car c'étaient des lumières de leur provinces qui auraient pu comme d'autres venir à Paris — on avait plusieurs fois offert au premier président de Caen de venir à la Cour de cassation — mais avaient préféré rester sur place, par amour de leur ville, ou de l'obscurité, ou de la gloire, ou parce qu'ils étaient réactionnaires, et pour l'agrément des relations de voisi- nage avec les châteaux. Plusieurs d'ailleurs ne regagnaient pas tout de suite leur chef-lieu.

Car, — comme la baie de Balbec était un petit univers à part au milieu du grand, une corbeille des saisons où étaient rassemblés en cercle les jours variés et les mois successifs, si bien que, non seulement quand on apercevait Rivebelle, ce qui était signe d'orage, on y distinguait du soleil sur les maisons pendant qu'il faisait noir à Balbec, mais encore que quand les froids avaient gagné Balbec on était certain de trouver encore sur cette autre rive deux ou trois mois de chaleur — , ceux de ces habitués de l'hôtel dont les vacances commençaient tard ou duraient longtemps, quand les pluies et les brumes arrivaient, faisaient charger leurs malles sur une barque, à l'approche de l'automne, et traversaient rejoindre l'été à Costedor ou à Rivebelle. Tout ce petit groupe de l'hôtel de Balbec regardait d'un air méfiant chaque nouveau venu, et tout en ayant l'air de ne pas s'intéresser à lui, interrogeait sur son compte leur ami le maître d'hôtel. Car c'était le même — Aimé — qui revenait tous les ans faire la saison et leur gardait leurs tables ; et mesdames leurs épouses, sachant que sa femme attendait un bébé, travaillaient après les repas chacune à une pièce du trousseau, tout en

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