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95^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qu'un instant ; et déjà je sentais que les filles commençaient à rire de me voir ainsi arrêté. J'avais cinq francs dans ma poche. Je les en sortis, et avant d'expliquer à la belle fille la commission dont je la chargeais, pour avoir plus de chance qu'elle m'écoutât, je tins un instant la pièce devant ses yeux :

— Puisque vous avez l'air d'être du pays, dis-je à 1^ pêcheuse, est-ce que vous auriez la bonté de faire une petite course pour moi ! Il faudrait aller devant un pâtis- sier qui est, paraît-il, sur une place, mais je ne sais pas où c'est, et où une voiture m'attend. Attendez !... pour ne pas confondre vous demanderez si c'est la voiture de la marquise de Villeparisis. Du reste vous verrez bien, elle a deux chevaux.

C'était cela que je voulais qu'elle sût pour prendre une grande idée de moi. Mais quand j'eus prononcé les mots '* marquise " et " deux chevaux ", soudain un grand apaisement se fit en moi. Je sentis qu'elle se souviendrait de moi et se dissiper avec mon effroi de ne pouvoir la retrouver, une partie de mon désir de la retrouver. Il me semblait que je venais de toucher sa personne avec des lèvres invisibles et que je lui avais plu. Et cette prise de force de son esprit, cette possession immatérielle, lui avait ôté de son mystère autant que fait la possession physique.

Nous revenions par une route qui traversait la forêt. L'invisibilité des innombrables oiseaux qui s'y répondaient tout à côté de nous dans les arbres donnait la même impression de repos qu'on a les yeux fermés. Enchaîné sur mon strapontin comme Prométhée sur son rocher, j'écoutais mes Océanides. Et quand par hasard j'aper- cevais l'un de ces oiseaux qui passait d'une feuille sous

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