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Page:NRF 12.djvu/104

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même, aurait voulu s’échapper hors de son corps, hors de la vie.

Il ne dormait plus un instant la nuit. Une fois il s’assoupit chez moi, vaincu par la fatigue. Mais tout d’un coup il commença à parler, il voulait courir, empêcher quelque chose, il disait : « je l’entends, vous ne, vous ne… » Il s’éveilla. Il venait de rêver, me dit-il peu après, qu’il était à la campagne chez le maréchal des logis chef. Il avait remarqué que celui-ci avait tâché de l’écarter d’une certaine partie de la maison. Il avait deviné que le maréchal des logis avait chez lui un lieutenant très riche et très vicieux que Robert savait désirer beaucoup son amie. Et tout à coup dans son rêve il avait distinctement entendu les petit cris que sa maîtresse avait l’habitude de pousser à certains moments voluptueux. Il avait voulu forcer le maréchal des logis de le mener dans la chambre. Et celui-ci le maintenait pour l’empêcher d’y aller, tout en ayant un air digne, froissé de cette indiscrétion et que Robert me dit qu’il ne pourrait jamais oublier.

— Mon rêve est idiot, ajouta-t-il, encore tout essoufflé.

Mais je vis bien que pendant l’heure qui suivit il fut plusieurs fois sur le point de télégraphier à sa maîtresse que la réconciliation était faite. Puis son rêve s’effaça un peu de son esprit. Il ne savait rien d’elle, il avait beau à chaque instant attendre une lettre, son ordonnance ne lui en apportait plus jamais. Restant sans aucune nouvelle, Robert formait toutes les suppositions. On a dit que le silence était une force, dans un tout autre sens il en est une terrible aussi aux mains de ceux qui sont aimés. Il accroît l’anxiété de celui qui attend. Rien n’invite tant à s’approcher d’un être que ce qui sépare de lui, or