amie que pendant ce trajet. Je sentais ce qu’elle était pour lui, et je me rendis même compte que lui dont les sentiments étaient pourtant d’habitude si délicats envisageait la possibilité de faire un brillant mariage, rien que pour avoir des sommes d’argent énormes et que vaincue par une richesse pareille, elle renonçât à l’idée de le quitter.
Seule elle avait des racines en lui ; l’avenir qu’il avait dans l’armée, sa situation mondaine, sa fortune personnelle, sa famille même, tout cela qui ne lui était certes pas indifférent comptait pour rien auprès des moindres choses qui concernaient sa maîtresse. C’était à elle qu’il pensait sans cesse. C’était de là que lui venaient toutes ses inquiétudes et par moments une ineffable douceur. Seul, ce qui avait rapport à elle avait pour lui du prestige, à éclipser non seulement les Guermantes mais tous les rois de la terre. Je ne sais pas s’il se formulait à lui-même qu’elle était d’une essence supérieure à tout, mais il n’avait de considération, de souci, il ne pouvait éprouver de véritable fièvre que pour ce qui la touchait. Par elle, il était capable de souffrir un martyre, de connaître des délices, peut-être de commettre un crime. Il n’y avait d’intéressant, de passionnant pour lui que ce que pensait sa maîtresse, que ce qui était dissimulé, — discernable tout au plus par des expressions fugitives, — dans l’espace étroit de son visage et sous son front privilégié. Si on s’était demandé à quel prix il l’estimait, je crois qu’on n’eût jamais pu imaginer un prix assez élevé. Car pour la garder il eût certainement sacrifié avec joie n’importe quelle fortune et tout ce que la fortune sert seulement, et peut ne pas suffire, à procurer, comme par exemple, une grande situation mondaine. S’il ne l’épousait pas, c’était