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Page:NRF 12.djvu/112

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pour la garder, pour la retenir chaque jour par l’attente du lendemain. Il savait en effet qu’elle ne l’aimait pas. Sans doute l’amour, semblable, malgré quelques diversités, chez tous les hommes, le forçait bien, par moments, puisque c’est une des manifestations morbides les plus essentielles à ce mal, à croire que sa maîtresse l’aimait. Mais pratiquement il sentait que cet amour pour lui n’empêchait pas qu’elle ne restât avec lui qu’à cause de l’argent qu’il lui donnait et que le jour où elle n’aurait plus rien à attendre de lui elle le quitterait ou du moins vivrait à sa guise.

Pour gagner la maison qu’elle habitait, nous longeâmes un petit jardin, sans doute vide et inhabité hier encore comme une propriété qu’on n’a pas loué, mais rempli maintenant par la floraison récente des branches des cerisiers et des poiriers ; et l’on ne pouvait s’empêcher de regarder avec curiosité ces nouvelles venues par lesquelles il était peuplé et embelli et dont à travers la grille on apercevait les belles robes blanches arrêtées au coin des allées.

— Écoute, puisque je vois que tu regardes tout cela, reste-là, me dit Robert, mon amie habite tout près, je vais aller la chercher.

En l’attendant je fis quelques pas ; je passai devant d’autres modestes jardins. Je voyais en plein air, çà et là, à la hauteur d’un petit étage, suspendues dans les feuillages, souples et légères dans leur fraîche toilette mauve, de jeunes touffes de lilas, qui se laissaient balancer par la brise sans s’occuper du passant qui levait les yeux jusqu’à leur entresol de verdure. Mais ce n’était pas mes yeux seuls qui les regardaient. Car j’avais reconnu en elles les pelotons violets disposés à l’entrée du parc de M. Swann,