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Page:NRF 12.djvu/115

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d’autres mondes. Mais ces autres mondes existent près de nous, infiniment différents, et pourtant voisins ou même faisant occuper une seule place à leurs orbes immenses. Sans doute c’était le même mince et étroit visage de cette femme que nous voyions en ce moment, Robert et moi. Mais nous ne le voyions pas dans la même monde. S’il eût appris le peu qu’elle était pour les habitants d’un autre monde, et que chacun pouvait l’avoir, il eût cruellement souffert, mais elle n’aurait pas perdu pour lui de son prix, car il n’était pas en son pouvoir de sortir du monde où il la voyait et qui mettait devant elle un voile de caresses, lui ajoutait une substructure de soupçons. Nous étions arrivés à ce visage par deux routes différentes qui ne communiqueront jamais et hors desquelles on ne peut se projeter soi-même. Comme une mince feuille soumise aux colossales pressions de deux athmosphères, ce visage était le point de rencontre de deux infinis. Nous ne le regardions pas, Robert et moi, du même côté du Mystère. Et ces jours où il avait tant souffert, ne sachant pas si elle allait le quitter, ces jours qui avaient dessiné devant moi comme une courbe magnifique, métallique et dure au dessus de laquelle Saint-Loup se penchait vers l’Inconnu, maintenant (tant il était probable que pendant ces jours-là cette femme n’avait voulu que se rire de lui, ou se l’attacher davantage, à moins qu’une fortune si inespérée lui eût tourné la tête) il me semblait en voir se profiler ironiquement l’ombre inconsistante et exactement inverse. Robert vit que j’avais l’air ému. Je détournai les yeux vers les poiriers et les cerisiers du jardin d’en face. Et leur beauté me touchait aussi. Ces arbustes que j’avais vus dans le jardin, en les prenant pour de charmantes