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Page:NRF 12.djvu/114

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La pitié que j’aurais dû éprouver pour Robert ne fut pas le sentiment qui m’envahit alors. Non, si les larmes me vinrent aux yeux, ce fut plutôt par l’excès de la joie que me donna l’apparition au fond de moi d’une sorte de vérité confuse encore, mais qui dépassait Robert et son amie.

Je me rendais compte de tout ce que nous pouvons ajouter au petit visage d’une femme si c’est avec l’aide de notre imagination que nous l’avons connue d’abord ; et inversement à quels éléments matériels, misérables et dénués de prix peut se réduire pour un autre homme, ce qui est pour nous le but de tant d’élans, l’objet de tant de rêveries. Je comprenais que la femme qui dans la maison de passe m’avait été offerte pour vingt francs sans me paraître les valoir ni être qu’une prostituée quelconque désireuse de les gagner, pouvait représenter pour Robert plus que des millions, plus que le Jockey, plus qu’une belle carrière, s’il avait commencé par chercher en cette femme un être difficile à saisir, à garder. Ce qui m’avait été offert en quelque sorte au départ, ce visage consentant, ç’avait été pour Robert un point d’arrivée vers lequel il s’était dirigé à travers combien d’espoirs, de doutes, de rêves.

Il les avait à jamais agglutinés, pour en faire quelque chose d’unique, d’indivisible, d’indestructiblement précieux, à ce visage qui me semblait à moi interchangeable avec tant d’autres, et sous lequel je n’aurais pas eu la curiosité de chercher une personne, à ces regards, à ces sourires, à ces mouvements de lèvres, pour moi seulement significatifs d’un acte général et d’une habitude professionnelle.

Nous voudrions aller dans d’autres planètes, dans