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8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

rend la forme qu'ils doivent avoir pour lui, qu'il les rétablit dans leur indignité originelle. Jamais homme n'eut plus naturelle la faculté de travestir, de défigurer, de souiller.

Mais il n'est pas horrible seulement par ses paroles. Son âme se tient derrière ses injures, pareille à elles, plus effrayante encore, s'il est possible. Et d'abord, il est d'une insensibilité incroyable. C'est un monstre. Il est incapable d'éprouver aucun des sentiments normaux de l'humanité. Il ne reconnaît rien pour respectable ; il est absolument dépourvu d'égards, c'est-à-dire qu'il ne trouve rien vers quoi l'on ait quelque raison de se tourner. Toutes les habitudes sociales de notre cœur lui sont incompréhen- sibles. Point de tradition pour lui, point de liens forgés par les siècles. Son âme est seule dans le temps ; elle est traversée par le souffle désert de la totale liberté. A la place des innombrables ménagements qui emplissent la nôtre, il y a en elle comme un vide, mais un vide brûlant, féroce, une sorte de flamme négative. Il signe une de ses lettres : " ce sans-cœur de Rimbaud. " ^ Même s'il l'a voulu ironique, il faut prendre le mot à la lettre. Il est privé de ce lieu intérieur où les sentiments naissent, fleurissent, s'entretiennent, se développent, de cette petite maison de la conscience avec ses habitants qui vont et viennent, entrent et sortent, font leur petit remue-ménage

  • Lettre à M. Izambard, publiée dans le Jean-Arthur Rimbaud^ le

poite de M. Paterne Berrichon (Librairie du Mercure de France), p. 9ï. Comparez le mot que cite Ernest Delahaye dans son Rimbaud (Revue Littéraire de Paris et de Champagne, 1901), p. 30 : "Ce qui fait ma supériorité, c'est que je n'ai pas de cœur. "

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