LA MARCHE TURQUE l8l
devinerait qu'ils sont juifs. Ce sont des juifs d'Espagne, ainsi que tous les juifs de Brousse. Ils fréquentent l'école française et parlent notre langue avec une déconcertante abondance. Ils demandent à notre compagne : — " C'est vrai, Madame, que dans la France chaque chien possède un maître ? " — et encore : — '* Dans la France, n'est-ce pas, l'eau n'est pas bonne et on ne peut boire que du vin ? "
Chacun d'eux se propose de gagner Paris dans deux ans, après un premier examen, puis, là-bas, de pousser plus loin ses études à l'école juive orientale d'Auteuil, pour enfin devenir Monsieur.
Mardi.
Le premier jour je n'achetai qu'une petite coupe de porcelaine, vieille et qu'on eût cru venir d'un Orient plus lointain. Elle est grande à tenir dans la main. Des dessins bleuâtres couvrent un fond de jaunâtre blanc craquelé.
Rien de plus décevant d'abord que ce bazar où nous fîmes ce premier jour une promenade désenchantée. Au dessus des boutiques banalisées, les écharpes de soie uni- formément bariolées nous faisaient fuir. Mais le second jour nous entrâmes dans les boutiques...
Ce second jour j'achetai trois robes ; l'une verte et l'autre amarante ; chacune striée de fils d'or. La verte a des reflets violets; elle convient aux jours de méditation et d'étude. L'amarante a des reflets d'argent ; j'en ai besoin pour écrire un drame. La troisième est couleur de feu ; je la revêtirai les jours de doute, et pour aider l'inspiration.
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