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RIMBAUD 13

pourvu qu'elle aide un peu à calmer cette immense soif.

Rimbaud est toujours en état de légitime offense. Tant pis pour nous si nous sommes en repos ! Lui est en guerre. Nous sommes ses ennemis, même si nous ne le voulons pas. Nous avons beau tourner vers lui le visage le plus bienveillant : il cherche pendant ce temps comment il pourra nous faire du mal. Si par hasard il nous trouve en proie à quelque tourment, c'est toujours autant de pris ! Il s'en félicite avec un transport cruel. Regardez-le qui exulte affreusement ! En pleine occupation allemande il écrit : " J'ai été avant-hier voir les Prussmans à Vouziers... Ça m'a ragaillardi. " ^ Et il ne pense pas à retenir ce cri épouvantable et sublime : " Je souhaite très fort que l'Ardenne soit occupée et pressurée de plus en plus immodérément. " ^ Sa haine à des ressorts d'acier. Il ne se fatigue pas de se lever contre nous. Il est toujours prêt à porter son accusation, avec la même grande joie impitoyable, toujours prêt à poursuivre et à condamner. D'autant plus d'occasions on lui en offre, d'autant plus il se réjouit. Inépuisablement en lui surgit le rire qui déteste. Encore 1 s'écrie-t-il avec triomphe. Vous voyez, je suis toujours là ; vous pouvez y aller, je ne vous manquerai point.

Sa fureur est telle qu'elle le tient jusque dans le plaisir. Il faut entendre le son rageur, sifflant, ironique, indigné que prend le mot " délicieux " chez Rimbaud. Il semble dire : " Voilà ce que vous avez trouvé, c'est bien ! je le prends ; mais ne pensez pas que je vous pardonne davan-

  • Lettre à Delahaye de mai 1873 (p. 53 du présent numéro.)
  • Lettre à Delahaye de juin 1872, Nowvelle Re^vue Française du

1" octobre 191 2, p. 579.

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