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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 3OI

Evidemment, il n'existe pas de style qui soit " un miracle de volonté ", qui soit " tout artificiel ", qui soit le " contraire de l'homme ". Mais il n'est pas de style non plus où n'inter- vienne une volonté, un artifice, une réaction de l'homme contre lui-même. En d'autres termes, sans poser ici des absolus, il est possible de fixer, par des exemples, deux limites, l'une qui figure l'extrême de naturel et de spontané dont le style soit capable, l'autre qui pose son extrême possible de volonté et d'artifice. Mais ne nous fions pas aux apparences pour dire d'un style qu'il est naturel ou artificiel : le style des Provinciales paraît plus naturel, plus immédiat que celui des Pensées, et pourtant les Provinciales ont été extrêmement travaillées, chacune récrite plusieurs fois, tandis que les Pensées sont généralement des notations rapides, sans artifice littéraire. Le style de Renan semble jeté dans la fraîcheur et le négligé d'une nature fraîche ; je le crois plus artificiel et laborieux que celui de Taine, qui donne précisément (et nous avons vu comme cette apparence a trompé) l'idée de l'artificiel et du laborieux. Pour faire, à beau- coup près, dans un style la part du spontané et du volontaire, voici, je crois, de quelle pierre de touche il faut user. Si le style des œuvres littéraires est le même que celui des lettres ou écrits analogues, le style sera dit plus naturel ; et plus grand sera l'écart entre les unes et les autres, plus le style sera dit artificiel. Or le style de Taine dans sa Correspondance et surtout dans ses Carnets de Voyage en France, notes jetées sans ratures sur ses calepins, écrites pour lui-même, ne difi^ère pas en nature de celui de Y Intelligencs et des Origines. Mais il manque la tension oratoire, élément d'ailleurs capital chez lui. Ce qui est artificiel chez Taine, c'est le style de telle œuvre scolaire, telle que sa thèse sur la Fable (à peu près rien du La Fontaine) " écrite, dit M. de Gourmont, avec le souci de ne pas déplaire à M. Géruzez. " De ce point de vue le type du style naturel, nous pourrons le voir dans la prose de Voltaire, qui est exactement la même, qui a exactement la même

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