Page:NRF 12.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

302 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

perfection, dans V Essai sur les Mœurs et dans n'importe laquelle de ses lettres. Et le type du style artificiel, on le verra dans Guez de Balzac, incapable d'écrire le moindre billet sans en faire pour la postérité une œuvre péniblement littéraire. Mais il n'existe pas de style absolument naturel, puisque jamais on n'écrit tel quel ce qu'on voit, ce qu'on sent, ce qu'on sait, puisque le style est cela même qui, en nous, réduit, par une opération plus ou moins longue, toutes les fractions de la réalité à un dénominateur commun. Il n'existe pas non plus de style absolument artificiel parce que le style a toujours son origine et ses éléments dans une sensibilité de l'œil et de l'oreille. L'écart entre le style littéraire, que l'on écrit, et le style mécanique, que l'on rédige, une fois mesuré pour chaque prosateur, et posé comme son équation personnelle, donnerait lieu à des inductions curieuses. Voyez Mallarmé et Rimbaud. Le style de Divagations est infiniment plus spontané qu'on ne croit : les lettres de Mallarmé, ses premières chroniques, toute son œuvre en appa- rence exotérique, est écrite dans ce même style précieux, aux ponctuations et aux coupes originales, qu'il ne peut s'empêcher de mettre dans ses moindres billets et dont on retrouve tous les tours jusque dans un livre de classe, les Mots Anglais. De Divagations à ces documents, le style ne diffère, comme on l'a vu pour Taine, qu'en tension, et le principal du travail consiste, comme le confessait délicieusement l'auteur, à y " remettre de l'obscurité. " De Rimbaud, nous avons un volume entier de lettres : rien, absolument rien, dans ces notations sèches, pas même une tache de couleur ou une coupe de phrase, ne rappelle la moindre chose des Illuminations ou à^JJm Saison en Enfer. La cloison étanche est parfaite. C'est que Rimbaud, la brute de génie la plus étonnante qui soit dans aucune littérature, n'a jamais je ne dirai pas même aimé, mais connu que lui : le reste des hommes, sans exception, sont devant lui comme des nègres. Écrit-on à des nègres ? Écrit-on même pour des nègres ? Publier c'est écrire pour les autres. L'idée n'en

�� �