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RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE • 303

pouvait même venir à Rimbaud. Madame Aurel a dit à peu près que le métier littéraire appartient de droit aux femmes (comme tout le reste !) parce que l'œuvre littéraire n'est qu'une variante de la lettre d'amour, et que, pour la lettre d'amour, à elles la cocarde ! Eh bien, personne ne fut moins femme que Rimbaud (de même qu'aucun homme ne fut plus femme que Verlaine) et la seule idée d'adresser son œuvre, comme une lettre d'amour, au public, ainsi que le fait chacun sur le trottoir littéraire, lui paraissait la plus inepte bouffonnerie. Il ne pouvait " écrire " une lettre quelle qu'elle fût. Aussi son œuvre, écrite pour lui seul, sans idée d'un public quelconque, est-elle la plus sincère, la plus chimiquement pure de toute prostitution, qui existe. Aucun style n'est plus naturel que son style direct, brûlant, tout en lumière. Ainsi l'écart entre deux natures d'écrits, très faible chez Mallarmé, presque infini chez Rimbaud, témoigne, chez l'un et l'autre, d'une égale, d'une paradoxale sincérité : mais l'une tournée en partie vers autrui, l'autre réservée exclusivement à soi, concentrée sur soi.

En principe tout écrivain possède donc deux styles, qui tantôt figurent deux espèces assez rapprochées d'un même genre, tantôt, exceptionnellement, font deux genres différents. Et même, quand on dit que l'un est plus naturel que l'autre, il faut s'entendre sur le sens du mot naturel, ou plutôt distinguer ses deux sens très différents, même opposés. On peut appeler naturel le style qui vient naturellement, c'est-à-dire sans effort, presque sans réflexion, qui est incorporé à une habitude. On peut appeler au contraire naturel le style qui exprime la vraie et profonde nature de l'homme, et qui implique parfois, pour être ramené à la lumière, un effort complexe, un forage difficile. Le style c'est tantôt l'homme automate fait d'habitudes, tantôt l'homme social fait d'influences, tantôt l'homme individuel fait de conscience et de volonté. Le premier côtoie le péril du procédé et du gaufrier, où tombe un Zola, le deuxième court le risque du cliché où se complaît délicieusement tout médiocre,

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