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306 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

question de mots : " Comme tous les écrivains de son temps, dit M. de Gourmont, Flaubert a subi l'influence initiale de Chateaubriand ^ ; cela n'est ni miraculeux ni très important. Sorti de toute autre école, Flaubert fût pareillement devenu ce qu'il était, lui-même. La vie est un dépouillement. Le but de l'activité propre d'un homme est de nettoyer sa personnalité, de la laver de toutes les souillures qu'y déposa l'éducation, de la dégager de toutes les empreintes qu'y laissèrent nos admira- tions adolescentes. Une heure vient ovi la médaille décapée est nette et brillante de son seul métal. Mais, selon une autre image, je songe au dépouillement du vin qui, délivré de ses parties troubles, de ses vaines fumées, de ses fausses couleurs, se retrouve, quelque jour, gai de toute sa grâce, fier de toute sa force, limpide et souriant ainsi qu'une rose nouvelle... Il faut lire successivement Madame Bovary, VEducation sentimentale, Bouvard et Pécuchet ; ce n'est que dans ce dernier livre que l'œuvre est achevée, que le génie de l'homme paraît dans toute sa beauté transparente... Qu'est-ce que les descriptions de Salammbô et leurs longues phrases cadencées ^ vis-à-vis des brèves notations et des résumés de Bouvard et Pécuchet, ce livre qui n'est comparable qu'à Don Quichotte ? " Je vois dans le dévelop- pement, ou plutôt dans l'enveloppement de Flaubert beaucoup plus de contingence que n'en admet M. de Gourmont. Je ne crois pas que ce style ait été donné dans sa nature. Sans lui

' Est-ce exact de la prose française de 184.0 à 1850, époque de la formation de Flaubert ? La prose à la Chateaubriand, je ne la vois que dans celle de Lamartine, qui est de deuxième ordre, et dans celle de Quinet qui est de quatrième. En ces années-là le créateur est Michelet, dont l'influence paraît très visible sur les Mémoires d'Outre-Tombe et se retrouve très nette, avec celle de Chateaubriand, chez Flaubert.

' Le caractère principal du vrai style est précisément de rompre avec l'asservissement à la longue phrase cadencée. C'est déjà très visible dans Salammbô.

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