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Page:NRF 12.djvu/313

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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 3O7

appliquer les lignes légères que M. Faguet a commises sur le style de Taine, sans faire de son style sa contre-nature, il est visible qu'il l'a extrait de sa nature par un effort de discipline et par un acte de volonté. Il est visible aussi qu'il pouvait être autre. Faible, incertain, capricieux, mais capable d'amitié solide et d'admiration dévouée, Flaubert était fait pour déférer au jugement d'un ami qui lui eût imposé l'autorité de son goût. Il chercha cet ami sans le trouver, n'eût à sa place qu'un Louis Bouilhet, qui était un médiocre honnête, et Maxime du Camp, que ses Souvenirs Littéraires nous montrent sous la figure d'un sot prétentieux, imposé à la timidité très réelle de Flaubert par sa suffisance et sa désinvolture vulgaires d'homme du monde. L'influence d'un ami aurait pu fort bien le détourner vers l'exubérance, vers l'exploitation intégrale de ses richesses. Je l'imagine sous la figure de son Saint-Antoine, tenté par toutes les formes de la matière verbale : " Je voudrais avoir des ailes, une carapace, une écorce, souffler de la fumée, porter une trompe, tordre mon corps, me diviser partout, être en tout, m'émaner avec les odeurs, me développer comme les plantes.... descendre jusqu'au fond de la matière, — être la matière. " Mais après la tentation revient la figure de l'art choisi, con- centré, dépouillé, qui réclame le travail de minutie et de ferveur : " Dans le disque même du soleil, rayonne la face de Jésus-Christ. Antoine faic le signe de la croix et se remet en prières. "

Chaque phrase de ce style implique une tension et un choix. Il n'est pas absurde de transposer à son ensemble, comme sa clef de voûte et son explication dernière, cette idée de tension et de choix, de mouvement et de volonté. Ce qu'il y a sans doute, dans le style de Flaubert, de plus intéressant, c'est la courbe qui le conduit des premières œuvres aux dernières, courbe logique certainement, mais vivante, contingente, imprévisible, et qui nous apparaît élue entre d'autres courbes également possibles. Le " dépouillement " dont parle M. de Gourmont,

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