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RIMBAUD 27

sentir simplement, la toucher comme un vaste corps présent ; ses membres se confondent avec ceux de l'œuvre elle-même ; ou plutôt l'œuvre tout entière n'est que son incarnation.

Au fond ce que dit Rimbaud n'a pas de sens ; je veux dire : de sens vers nous. Son but est prochain, immédiat, égoïste. En écrivant il ne travaille 'qu'à se débarrasser de son innocence. Elle l'étoufFe; l'imperfection de ce monde la maintenant en lui comprimée, elle pèse contre les parois de son âme. Pour échapper au supplice de ce conti- nuel effort intérieur, il tâche de la dégager, de lui trouver une issue, de lui rendre de l'espace, au moins en imagina- tion. Son œuvre est ainsi comme une région plus vaste qu'il ouvre à sa propre innocence, comme une habitation à sa taille qu'il lui construit, comme un corps glorieux qu'il lui fournit. Elle n'a pas d'autre raison d'être que d'ofirir une matière à son âme irréprochable, que de la recevoir, de la revêtir et de la soutenir. Tout y est calculé, non pas pour satisfaire le plus complètement possible l'intelli- gence du lecteur, mais pour arrêter, fixer, absorber le plus possible de cette innommable perfection qui emplit le cœur du poète.

Il est clair qu'une telle œuvre ne peut ni ne doit être étudiée suivant les méthodes habituelles de la critique. Il convient non pas de l'analyser, mais de la palper, de la constater pour ainsi dire dans toutes ses parties. Pas d'opération à lui faire subir, pas d'extraction à tenter. Tâchons seulement d'y reconnaître partout l'innocence. — Elle est composée de motifs semblables à des thèmes musicaux, de groupes d'images qui reviennent de temps en temps et se chassent les uns les autres. Essayons seule-

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