langue. Ah ! si c’était à moi le château de Guermantes, on ne me verrait pas souvent à Paris. Faut-il tout de même que des maîtres, des personnes qui ont de quoi comme Monsieur et Madame, en aient des idées pour rester dans cette misérable ville quand ils seraient libres d’aller à Combray. Qu’est-ce qu’ils attendent pour prendre leur retraite puisqu’ils ne manquent de rien ; d’être morts ? Ah ! si j’avais seulement du pain sec à manger et du bois pour me chauffer l’hiver, il y a longtemps que je serais dans la pauvre maison de mon frère à Combray. Là-bas on se sent vivre au moins, on n’a pas toutes ces maisons devant soi, il y a si peu de bruit que la nuit on entend les grenouilles chanter à plus de deux lieues.
— Ça doit être vraiment beau, madame, s’écriait le jeune valet de pied avec enthousiasme comme si ce dernier trait avait été aussi particulier à Combray que la vie en gondole à Venise.
— Au moins on sait dans quelle saison qu’on vit. Ce n’est pas comme ici qu’il n’y aura pas plus un méchant bouton d’or à Pâques qu’à la Noël, et que je n’ai pas seulement un petit angélus quand je lève ma vieille carcasse. Là-bas on entend chaque heure, ce n’est qu’une pauvre cloche qui sonne, mais tu te dis, voilà mon frère qui rentre des champs, tu vois le jour qui baisse, tu as le temps de te retourner avant d’allumer la lampe. Ici il fait jour, il fait nuit, on va se coucher qu’on ne pourrait seulement pas plus dire que les bêtes ce qu’on a fait.
— Il paraît que Méséglise aussi c’est bien joli, madame, interrompait le jeune valet de pied au gré de qui la conversation prenait un tour un peu abstrait et qui se souve-