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A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU 87

la nôtre, nous nous jugerions insensés d'adresser un sourire ou un regard : les minéraux et les personnes avec qui nous ne sommes pas en relations. En deçà, au contraire, de la limite de leur domaine, les radieuses filles de la mer se retournaient à tout moment en souriant vers des tritons barbus pendus aux anfractuosités de Tabîme ou vers quelque demi-dieu aquatique ayant pour crâne un galet poli sur lequel le flot avait ramené une algue lisse et pour regard un disque en cristal de roche. Elle se penchaient vers eux, elles leurs offraient des bonbons ; parfois le flot s'entr'ouvrait devant une nouvelle néréide qui tardive, souriante et confuse venait de s'épanouir du fond de Tombre ; puis l'acte fini n'espérant plus entendre les rumeurs mélodieuses de la terre qui les avaient attirées à la surface, plongeant toutes à la fois, les divines soeurs disparaissaient dans la nuit. Mais de toutes ces retraites au seuil desquelles le souci léger d'apercevoir les œuvres des hommes amenait les déesses curieuses qui ne se laissent pas approcher, la plus célèbre était le bloc de demi-obscurité connu sous le nom de baignoire de la princesse de Guermantes.

Comme une grande déesse qui préside de loin aux jeux des divinités inférieures, la Princesse était restée volontairement un peu au fond sur un canapé latéral, rouge comme un banc de corail, à côté d'une large réver- bération vitreuse qui était probablement une glace et faisait penser à quelque section qu'un rayon aurait prati- quée, obscure et perpendiculaire, dans le cristal ébloui

des eaux Et quand je portais mes yeux sur cette

baignoire, bien plus qu'au plafond du théâtre où étaient peintes de froides allégories, c'était comme si j'avais

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