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Page:NRF 12.djvu/94

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aperçu, grâce au déchirement miraculeux des nuées coutumières, l’assemblée des Dieux en train de considérer le spectacle des hommes, sous un vélum rouge, dans une éclaircie lumineuse, entre deux piliers du Ciel. Tandis que je contemplais cette apothéose momentanée avec un trouble que mélangeait de paix le sentiment d’être ignoré de ces Immortels, la Duchesse, qui m’avait vu une fois avec son mari, mais avait dû oublier mon visage et mon nom, se trouvait par la place qu’elle occupait dans la baignoire, regarder les Madrépores anonymes et collectifs du public de l’orchestre dans lequel je sentais heureusement mon moi dissous ; mais au moment où, en vertu des lois de la réfraction, avait dû venir se peindre dans le courant impassible et bleu de ses yeux, la forme confuse du protozoaire dépourvu d’existence individuelle que j’étais, je vis une clarté les illuminer : la Duchesse, de déesse devenue femme et me semblant tout d’un coup mille fois plus belle, leva vers moi la main gantée de blanc qu’elle tenait appuyée sur le rebord de la loge, l’agita en signe d’amitié ; mes regards se sentirent croisés par l’incandescence involontaire et les feux des yeux de la Princesse qui les avait fait entrer à son insu en conflagration en les bougeant pour chercher à voir à qui sa cousine venait de dire bonjour, et celle-ci qui m’avait reconnu, fit pleuvoir sur moi l’averse étincelante et bleue de son sourire.

Maintenant tous les matins, bien avant l’heure où elle sortait, j’allais par un long détour me poster à l’angle de la rue qu’elle descendait d’habitude et quand le moment