140 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Fumées dans la campagne, de M. Edmond Jaloux, n'a rien d'un coup de sonde et paraît venir au monde dans un paysage harmonieux, attendri et doucement triste de Pro- vence. M. Jaloux, jusqu'ici, demeurait l'auteur de ce beau récit intérieur, frémissant et plein, Le reste est silence, auquel Fumées dans la campagne, après dix ans, donne un admirable pendant. De l'un à l'autre, M. Jaloux, semble-t-il, a perdu et gagné : on ne retrouve pas toujours dans Fumées ce nombre grave, cette musique extérieure autour d'une intériorité lourde, comme un bruissement d'abeilles autour du poids de miel, que l'on aimait dans Le reste est silence. Fumées, plus étendu, plus détendu, comporte au contraire quelques espaces traînants et quelques négligences, mais il l'emporte par le détail, l'exactitude et surtout l'intelligence aiguë de l'analyse. Celui qui sait goûter les pures qualités classiques, le vrai travail bien fait, le roman construit, la savante com- position dans une lumière bien comprise, aimera ce livre et le relira. L'art de M. Jaloux, dans Fumées, me rappelle d'assez près celui de Tourguenefï, injustement oublié aujourd'hui, dont Taine apparentait l'art à celui des Grecs. Ce n'est pas un hasard si le titre de Fumées, le motif de vie et d'art auquel il correspond se retrouvent dans un roman de Tourguenefï, dont le sujet est d'ailleurs tout à fait différent de celui de M. Jaloux.
« Il regardait les fumées bleues qui montaient, montaient sans fin dans l'air lourd ; — On dirait vraiment, dit-il, qu'elles sont alimentées par un brasier énorme. Et pourtant, si nous nous approchions de ces feux, si nous soulevions les feuilles encore intactes, nous verrions qu'il n'y a, au fond, qu'un foyer bien pauvre, à demi éteint, qui consume lente- ment les dernières fibres sèches. Il en est ainsi de presque toutes les destinées humaines. Considérées à distance, elles font un certain effet. On croirait presque, à notre éclat, qu'il y a en nous une belle flamme dévorante, qui brûle
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