NOTES 149
affirme que « l'émotion esthétique est le type de l'émotion à base intellectuelle ». Il va trop loin aussi quand il introduit plus ou moins ouvertement cette idée que l'artiste doit être d'abord une intelligence. (Peut-être est-ce sa cause person- nelle qu'il plaide ici secrètement et n'insiste-t-il si fort sur ce point que pour se prouver à lui-même que son insuffi- sante sensibilité, dont il ne peut manquer d'avoir conscience, ne l'empêche pas d'être un artiste.)
En tous cas, même s'il mêle à sa thèse quelque exagération, M. Benda a raison quand il se scandalise de cette opinion aujourd'hui courante que l'artiste n'a rien à faire qu'à sentir avec le plus d'intensité possible et que son œuvre n'est rien déplus que le prolongement, l'épanouissement de son émo- tion. Il touche vraiment le point sensible et le défaut capital de tout notre système esthétique actuel quand il nous reproche de nous montrer persuadés « que le « pur exercice » de l'émotion en est aussi l'intellection » : « Leur argument, écrit-il, en ce -désir que la réelle intelligence d'im sentiment soit prolongement du sentiment lui-même, c'est que — historiquement — ceux qui montrèrent, sur tel sentiment humain, les vues les plus profondes sont des êtres qui ont éprouvé ce sentiment, qui l'ont vécu. Admettons le fait. Mais la vraie question, ici, est celle-ci : l'activité par laquelle ils formèrent ces vues profondes sur un état du cœur est-elle de même nature que celle par laquelle ils le vécurent ? Peut-on passer de l'une à l'autre par « dilatation », c'est-à- dire par continuité ? Ou bien y a-t-il entre elles deux, et malgré que la première requière peut-être la seconde comme antécédent nécessaire, une dualité d'origine, un hiatus ? C'est là de ces questions qu'il suffit qu'on pose pour qu'on les résolve. J'admets qu'une Lespinasse trouve cette vue pro- fonde sur un mouvement humain : « La plupart des femmes n'ont pas besoin d'être aimées ; elles veulent seulement être préférées », parce qu'elle a vécu le tourment d'aimer sans
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