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autre chose que l’art. Mais ceux « dont toutes les idées ont été tournées dans un seul sens » ne se trouvent point mal préparés à ce qu’est pour vous, Rivière, le travail de création : « ne rien sentir, ne rien vouloir d’autre que ce qu’on fait ».

Je ne consens point qu’une pensée que domine encore l’idée de la guerre soit nécessairement prise sous « un esclavage intellectuel ». Voici justement le temps où une telle pensée, n’étant plus astreinte à l’obligation directe de servir, peut, comme toute autre pensée, « pousser droit ». Voici le temps où elle n’est plus arrêtée sur son objet par une pression du dehors, et ne peut s’y maintenir qu’en vertu d’une exigence intérieure ; où ce qui naîtra d’elle a donc chance d’accroître « les produits naturels de notre inspiration ». Mais c’est aussi le temps de l’expérience véritable, qui, en présence de tels événements, ne relève pas tant de la sensation que de la mémoire encore toute chaude. C’est le temps du témoignage, non pas seulement du témoignage sur ce qu’on a vécu et sur ce qu’on a vu, mais sur ce qu’on a pensé, sur ce qu’on pense, au voisinage du fait. Ce temps, il ne faut pas le perdre, parce qu’il passera très vite. Bientôt commencera l’ère de la légende et de l’histoire. Penser la guerre, alors, sera la reconstruire, avec une vraisemblance plus ou moins assurée, selon que les témoignages — au sens où je prends ce mot — seront plus ou moins exacts et complets. Ne décourageons aucun témoignage, et ne faisons pas exprès de distraire aucun témoin !

Car je ne consens pas, surtout, que les puissances d’oubli aient besoin d’être aidées. La vie continue d’elle-même ; il n’en coûte pas tant de se remettre à vivre. Vraiment,