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les plus graves de la guerre soit d’avoir préoccupé les esprits ». Cette guerre qui nous coûte dix-sept cent mille hommes, qui a mis notre avenir en suspens, et l’y laisse, a bien fixé, durant cinq ans, toujours sur les mêmes images, nos sentiments et nos idées ; elle a presque suspendu, pour tout le reste, le travail intérieur des esprits. Mais la véritable « préoccupation », ce serait, dans un même travail continué, l’intervention d’idées étrangères qui la faussent, produisant un désarroi des arguments, des habitudes, des principes et des méthodes. À ce compte, la grande guerre a « préoccupé » la pensée française dix fois moins que la longue querelle janséniste, et, je crois, un peu moins que l’Affaire Dreyfus. Nous sommes loin d’y avoir pensé positivement dans la mesure de son importance. Ne risquant pas d’y penser trop, risquant d’y penser trop peu, nous devons y penser bien. Et je ne consens donc point davantage que le « détournement » du génie français, son absorption dans une tâche, doive s’appeler une déformation[1]. Ce qui déforme l’esprit, c’est de penser tout ensemble à ce qu’on fait et à ce qu’on ne fait pas. Plus d’un esprit s’est déformé sans doute. Ceux qui constamment ont pensé en deçà, au delà de la guerre, au-dessus, au-dessous, à côté, ne sont pas les moins prêts à chercher maintenant, dans l’art,

  1. Peut-être Rivière en veut-il surtout à la « littérature de guerre ». Ce que j’en ai lu ne me rend pas glorieux ; ce que j’en ai lu ne me fait pas honte. Même si l’on met à part de beaux livres, comme ceux de Duhamel, cette littérature apparaît monotone, inégale, bien réduite par tant d’absences ; mais plus franche, plus simple qu’on ne l’eût attendue ; plus pauvre, non plus impure que la littérature du temps de paix. Je vois, sur une jachère, quelques essais de culture ; non pas un vaste champ empoisonné.