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NUIT A CHATEAUROUX 239

qu'il y a d'amoureux et de modeste sur terre, tout ce qu'écrivit sur le Berry, d'une encre invisible, le jour, la nostalgie ou la candeur : le cours de l'Indre trompeuse, les bassins ovales du château Raoul, éclatantes voyelles, à sa lumière devenait soudain visible. L'adjudant déjà dormait. Pour qu'il ne fût point dérangé, je fis éteindre les lampes, à part celle de mon lit, et apporter un paravent. C'était le paravent dont on sépare d'habitude, quand l'agonie approche, le malade mourant de son voisin. Sur ime face, il était vert avec des oiseaux japonais ; de l'autre, jaune sans dessin... J'imagine qu'on place les oiseaux du côté du mourant... et j'écrivis à Pavel...

Mon cher Pavel,

C'est cela, bavardons toute la nuit par lettres. J'ai déjà fait cela tout le jour, au Mont des Oiseaux, avec mon voisin de Ht, qui était sourd tout à fait. Nous voilà de- venus — sale guerre! — sourds ou invisibles. Mais te rappelles-tu qu'à la pension Kissling nous passions le cours de botanique, face à face, à nous écrire? En ouvrant les enveloppes, nous nous collions les doigts à la gomme toute fraîche. Tu me demandais, par le langage des muets, l'orthographe des mots français que tu connaissais mal, avec le signe de détresse quand c'était un nom propre, et je savais toujours cinq ou six mots de ta lettre (le mot «parages » et le mot « œdème » entre autres, que tu t'obsti- nais à employer) avant de la recevoir. Je t'avertis que tu commets toujours la même faute sur mon nom. Il se ter- mine par un x et non par un double z... Te rappelles- tu aussi les lettres que nous nous adressions et que nous al- lions déposer tout exprès, à la grande poste, pour l'expé-

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