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NUIT A CHATEAUROUX 255

se regardait le plus longuement. Rien qu'on n'ait pu trouver dans la poche du premier tué venu, à part justement un petit miroir cerclé d'or, tout ce que contiennent les poches d'un soldat : du côté droit, ce dont on a besoin à chaque heure, ce qu'on atteint facilement, un porte-monnaie décousu dont on pouvait obtenir les sous en le secouant comme une tirelire ; un gros couteau de l'armée suisse, pays où l'on mange ; un mouchoir tout rouillé, rouge et vert, à dessins anglais, pays des rhumes ; du côté gauche, ce qui n'est nécessaire que toutes les semaines, tous les mois : un jeune porte-monnaie en cuir violet ; un petit couteau damasquiné de l'armée norvégienne, pays où l'on sculpte ; un mouchoir de pur fil, celui que l'on garde pour la blessure ou pour une rencontre, gris sur les deux faces, à l'intérieur tout blanc comme un Uvre. J'étais ému de voir Pavel croire encore, comme un simple soldat, malgré l'âge, malgré la guerre, que tout objet a deux buts — couteau ou bourse — orner, servir. Le tout sau- poudré de ces grosses miettes de pain, si dures, de ces fragments de chocolat, de ces graines de riz, qui font que des moineaux se mêlent aux corbeaux pour picorer les cadavres. Le tout mélangé de ces correspondances du tramway Montparnasse, de ces bonnes aventures données par des sourds-muets et disant, au-dessous d'un dessin de taureau : Votre caractère est affable... si tristes quand on les retrouve dans sa poche à l'étranger, plus tristes encore dans les goussets des morts. Il manquait seulement le livret militaire, que Pavel avait dû déchirer le jour de la mobilisation après y avoir contrôlé soigneusement ses noms et s'il savait nager. Tous ces objets enfin qui, sur mon Ht maintenant rassemblés paraissaient les rouages

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