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200 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

C'est ainsi, par hasard, mai? par la main à chacun la plus douce et amère, que le métier de chacun fut révélé. Le même, au fond, pour tous deux. Je suis certes le poète qui ressemble le plus à un peintre. Je ne peux écrire qu'au milieu des champs ; trouver des rimes qu'en voyant des objets semblables ; atteindre le mot qui fuit que si un homme fait un geste, que si un arbre s'incline. D'un index qui laisse les autres doigts tenir la plume, je dessine dans l'air, avant qu'elle ait sa vraie forme, chaque phrase ; j'écris malgré moi le nom de chacun de mes amis avec son écriture même, et mes manuscrits semblent pleins de leurs signatures ; les jours où il pleut, je me sens libre de mon métier comme les aviateurs, comme les peintres ; j'écris devant les femmes comme devant un modèle ; pas un mot sur elles que j'aie écrit à plus de cinq mètres d'elles. Maintenant même, dans cette chambre dont on emportait le paravent, car le vent de la mort, c'était bientôt l'aurore, devait souffler dans une chambre voisine, j'écrivais àPavelles yeux fixés sur mon voisin endormi. Il respirait régulièrement, et ces deux gros poumons attisaient mon cœur. Il se découvrait soudain la poitrine, je voyais une poitrine semblable à toutes les autres, des épaules semblables à toutes les épaules, il devenait soudain mystérieux, anonyme, et c'était comme si un modèle se voile le visage. Il ridait son front une seconde, et c'était comme si un modèle prend son rouge sans y penser et, sans qu'il s'en doute, s'ajoute une couleur ; et dès que miss Daniels était là, les mots ne me venaient plus, comme les teintes à celui qui peint entre deux lampes.

Pavel parut moins satisfait que moi. II avait bu

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