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202 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

jambes de droite et de gauche, dès qu'une goutte de pluie les effleure, comme le protozoaire qu'un doigt d'homme a touché ? Tu as vu leur ardeur, leurs salutations mutuelles, dès qu'ils se mettent à vingt dans un bureau de poste pour retrouver une pièce de dix sous égarée par une vieille dame sous la plaque du guichet, et ces joies quand on la retrouve ? Tu as vu les groupes d'orateurs bruns, sem- blables à des corbeaux mouillés, du jardin Bourbon surveiller le pont de la Concorde. Tu as vu de grands omnibus combles de facteurs remonter la rue de Rennes, et redescendre, inexplicable relève, combles d'externes de Stanislas ! Tu as vu les trains de banheue escaladés par des milliers d'innommables jaquettes, fendues en deux pans que le vent écarte, tristes coccinelles attirées par Chat ou. Tu as vu les quarts d'agent de change revenir de leur sixième de chasse, tout fiers, avec un merle et un écureuil entiers. Tu as vu les chefs de bureau sortir du ministère des Finances, faussement neufs, invraisemblablement soustraits à la dignité d'homme, que semble toucher pour la première fois l'air de la rue, fragiles comme une pendule qui se promène sans son globe. Tu as vu ceux qui ont l'index plat à force de mettre leurs souliers sans corne à chaussure, ceux qui ne savent que faire ae leurs mains, de leurs pieds, — qui voudraient être des boules, — qui les cachent dans leurs poches ou les poussent dans l'ombre, comme les mauvais peintres les mains de leurs personnages. A l'enterrement de sa fille chérie, tu as vu, avant le défilé, le père, une minute droit et digne comme une statue, dos à la sacristie... droit et fier... puis le premier gagnant de la course des condoléances l'atteint, comme l'eau lâchée sur un moulin.

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