Aller au contenu

Page:NRF 13.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NUIT A CHATEAUROUX 263

et dès lors, il se baisse et se relève sans arrêt. Tu as vu les maîtres de forges, entrant dans leur chapelle, faire un signe de croix précis, et les quatre vis qui maintiennent le visage et la poitrine des maîtres de forges contre leur cœur sont resserrées pour une semaine. Tu as vu les bugles, dans Tristan, qui soufflent une note tout d'un coup, qui sont un peu plus rouges en reposant leur bugle, comme par pudeur, comme un enfant qui a dans un salon voulu dire un mot sur Yseult. Tu as vu les violon- cellistes, décharnés et coudés comme une mère débar- rassée de la veille d'un fils, qui discutent avec de grands gestes, qui hurlent, et c'est qu'ils sont du même avis. Tu as vu les spécialistes en pharmacie se placer juste en face des palais Louis XV, Louis XIV, et les ajuster à leur vue comme un vérascope : alors les spécialistes voient tout. Avant la guerre, tu ne les connaissais que de vue, tous ceux-là, tu ne les avais touchés qu'aux mains, mais depuis quatre ans tu les soulèves, tu les pèses. Tu les connais maintenant comme tu connaissais les femmes 1 Pas une part de toi qui n'ait touché un homme, tu as dormi contre le ventre d'un mineur, ta tête dans des granges a été prise entre le dos d'un chocolatier et les genoux d'un notaire ; tu connais leur poids, et le poids aussi d'un bras ou d'un pied seul, séparé d'eux. Eh bien ? Au revoir, mon cher petit Jean. Les coqs chantent. Des volets s'ouvrent. J'entends une seconde par la fenêtre ces gémissements du voisin que j'entends le jour par la porte. Miss Jackson éteint notre chemin lumineux, et chaque commutateur craque comme si elle écrasait un gros insecte flamboyant. Les amis que j'ai eus depuis notre départ ? Pourquoi te les nommer ?

�� �