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Page:NRF 13.djvu/279

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NUIT A CHATEAUROUX 27I

vois des lumières s'allumer dans ces boutiques que je n'ai vues que de jour, et il me semble que pour la première fois je ne sais quel âge les touche ; ma ville retrouvée va s'évanouir. De la grande terrasse je la surveille, et je surveille aussi, avec cette fin de journée, toute dorée mais confuse de sa mort, palpitante (je ne dirai pas si tous ces adjectifs s'adressent à journée ou à jeunesse), ma jeunesse.

Dans ces magasins où pour la première fois je vis les tableaux, le sucre candi, les bijoux, je regarde. Je reconnais la plupart des vendeurs, mais tous ceux qui ont personnifié pour moi les métiers sont maintenant blancs et caducs. Voici que je pénètre dans l'âge où les métiers redeviennent antiques. Voici que les horlogers ont de grandes barbes de neige, et il ne leur manque qu'une faux. Voici que les libraires ressemblent aux vieux écrivains, les barbiers aux vieux savants chauves. Voici que les bouchers sont à la fois gonflés de graisse et tout ridés. Voici que les pâtissiers — conune leurs gâteaux sont petits! — s'éloignent de soixante ans de l'âge où ils aimaient les gâteaux. Voici que les pharmaciens vont mourir, regrettés de leurs médecins. Voici l'âge où je rends au temps ceux qui, les premiers, m'ont fourni le pain, les livres, l'heure... Tous leurs noms inscrits sur les vitres vont bientôt monter d'une ligne, laisser leur place au nom du successeur, monter comme un rouleau de pianola, et disparaître... Seuls les fruitiers sont jeunes ; seuls ils renaissent à chaque saison ; seules les poires, les pêches, les bananes sont vendues comme autrefois par une toute jeune fille, que le patron embauche à seize ans et loue à dix-sept ans aux hôtels, et cette fillette, dix-huit

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