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NUIT A CHATEAUROUX 275

observer de dos, de face, suivre sur leur visage dans la même journée tous les progrès de l'ombre et de la science, et d'où personne jamais ne les regarda, si ce n'est cette folle qui s'évadait de Sainte-Catherine pour voir de là son fils, et si ce n'est moi aujourd'hui... Je me hisse, je me penche ; je tressaille ; je m'attendais à voir un élève solitaire, un visage unique, ma seule enfance ; j'en vois trente ; et aucun ne me ressemble, et tous il est clair qu'ils sont moi ; j'ai été celui là-bas qui écrit de la main gauche, j'ai été ce roux qui a un tic au front, j'ai été ces deux indolents qui tracent au tableau, pour abuser le maître, des figures sans rapport avec leurs paroles, un polyèdre en parlant des jeunes filles, un rectangle en parlant des femmes : j'ai été ce gros à yeux bleus qui prépare sa récitation facultative et confond l'envie de réciter des vers avec l'envie de réciter de la prose... O vitre qui m'offre, vivants, les trente gestes que je n'ai jamais faits, les trente regards que je n'ai jamais eus... ô seul miroir fidèle !

Sept heures et demie ont sonné. Voici ma place devant moi, celle que RoUinat eut le premier, puis Bernard Naudin, et déjà nous nous disputions pour l'avoir. Elle rend myopes ceux qui l'occupent, car elle est au-dessous d'un bec de gaz ; un faux pupitre la surélève. L'enfant qui nous succède lit, les mains dans ses poches, tout droit, et j'admire comme les jeunes générations sont devenues habiles ; de mon temps on lisait en se bouchant les oreilles, on écoutait, on sentait en fermant les yeux : quand on pensait, on courbait les épaules... Sept heures quarante, les externes surveillés passent dans les cloîtres, avec des murmures et des bruits de relève, leurs corps surveillés

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