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276 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

tout près d'eux par le maître, leurs ombres du dehors par le censeur ; puis la cohorte des demi-pensionnaires qui ne voient leurs parents qu'à la lumière des lampes, ou le dimanche ; il ne reste plus dans le lycée que ses vrais fidèles et que moi.

La lune alors apparaît ; le vent se lève ; les girouettes grincent ; chaque clef de voûte des cloîtres, forée d'une ampoule, illumine et soutient un second cloître de lumière ; les garçons placent à la volée les assiettes sur le marbre des réfectoires. Près du tilleul, au centre de la cour d'honneur, le proviseur et le surveillant général. Ils n'ont pas changé : jadis ils me semblaient si vieux et justement ils ont vieiUi. C'est la première fois où ils ne me voient pas enfant, et ils me reconnaissent. Pour la première fois je serre leur main, où jadis le mienne se perdait, d'ime main égale. Pour la première fois, quand nous tournons le dos aux cloîtres, mon ombre n'est pas une petite ombre entre les leurs. Pour la première fois je réponds à leurs paroles par des paroles égales, et mes mots ont le poids vérifié par les hommes. De cet enfant dont je suis venu chercher des nouvelles, perdu pour moi — de moi — ils me parlent avec égard comme de mon fils. Il était soigneux de ses livres, il ne mentait pas... Leurs fils à eux aussi sont tués; toujours graves, toujours vêtus de redingotes, coiffés de chapeaux de soie, ils n'ont pas eu le jour de leur deuil à changer une ride, une cravate.

Il est l'heure de regagner l'hôtel. Un coq, si jamais coq s'est trompé c'est ce coq-là, chante... Le proviseur m'accompagne à la porte, il l'ouvre lui-même et me relâche, cette fois en ôtant son chapeau, pour la seconde fois.

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