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344 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

aussi à te dire, mais dans ces conditions-là je me tais.

Un silence.

GÉRARD — Est-ce que je t'ai froissé ? Tu as l'air de faire la tête.

ANTONIN. — Je songe seulement à la dernière heure où j'ai vu ce garçon. C'était il y a un mois dans la chapelle du collège dont nous étions tous deux des anciens, à ce fameux Salut de Pâques, — je t'en ai parlé bien souvent. Il était dans le chœur, face à moi, enveloppé de son grand manteau de cavalerie, ses cheveux noirs en arrière, ses mains' sur le pommeau de son sabre, et, comme dans le vers de l'IHade, « dépassant tous les autres de la taille, ainsi qu'il convient à un dieu ». Et moi, avec angoisse, sur son maigre visage glabre d'ascète et de chevalier, je cherchais à lire s'il ressentait cette heure autant que moi. Quand nous sortîmes et qu'il vit les élèves défiler devant lui sans s'arrêter, il fut pendant quelques secondes comme recouvert d'une ondée de faiblesse, puis il se plaignit que, parmi les plus jeunes, personne ne sût plus même son nom. Et comme je lui répondais : « Le sauraient-ils « encore, vous croiriez-vous donc moins oublié ? — Ah ! « fit-il, il ne faut pas dire cela ! » Et voici qu'à présent, tandis que les étrangers eux-mêmes ont devant cette mort une bouffée de surprise, de peine, de révolte, je ne sais quoi, toi, un enfant, le premier de tous, sur ce corps encore chaud tu jettes ta petite poignée de terre... Ah ! non, cela, ce n'est pas bien.

GÉRARD. — Si j'avds su que j'allais te froisser, je ne l'aurais pas. dit.

ANTONIN. — Tu ne m'as pas froissé. Tu emploies tou- jours des termes inexacts.

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