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Page:NRF 13.djvu/455

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NOTES 447

Mais enfin et surtout il sait qu'il sait. Car il sait le grand secret, de toute créature... le secret le plus universellement confié, de proche en proche, de l'un à l'autre, à demi- voix basse, au long des confidences, au secret des confessions, au hasard des routes, et pourtant le secret le plus hermétique- ment secret... Il sait que l'on n'est pas heureux. Il sait que depuis qu'il y a l'homme nul homme jamais n'a été heureux... Or, voyez l'inconséquence. Le même homme, cet homme a naturellement un fils de quatorze ans. Or il n'a qu'une pensée. C'est que son fils soit heureux. Il ne se dit pas que ce serait la première fois que ça se verrait... Il n'a qu'une pensée. Et c'est une pensée de bête. Il veut que son fils soit heureux... Il a une autre pensée. Il se préoccupe uniquement de l'idée que son fils a (déjà) de lui, c'est une idée fixe, une obsession, une sorte de scrupuleuse et dévorante manie. Il n'a qu'un souci, le jugement que son fils, dans le secret de son cœur, portera sur lui, il ne veut hre l'ayenir que dans les yeux de ce fils. Il cherche le fond des yeux. Ce qui n'a jamais réussi, ce qui n'est jamais arrivé, il est convaincu que ça va arriver cette foiç-ci... Et c'est ici la commune merveille de notre jeune Espérance. » De telles pensées de bête, si on les juge, si on les raille, ce n'est pas pour s'empêcher de les avoir, c'est pour les dépasser, pour s'élever à d'autres, qui donneront à celles-là leur vrai sens : Il ne s'agit pas d'échapper, sur terre, à notre condition d'hommes. Il s'agit de vieillir bien, non de ne pas vieillir, comme des dieux. Lisez plutôt Homère et les tragiques grecs : « Oui, l'homme envie aux dieux leur étemelle jeu- nesse, leur éternelle beauté ; leur force iUimitée, leur instan- tanée vitesse ; leur éternelle bataille, leur éternel festin, leur éternel amour. Mais il devient très vite évident que cette envie même est comme noyée dans un certain mépris... Mépris de quoi ? Mais précisément de ceci : que les dieux sont éternellement jeunes et éternellement beaux ; presque universellement puissants, instantanément vites ; mépris de

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