NOTES 465
Presque chacune des affirmations picturales de Gauguin nous est un motif de révolte, et notre chagrin s'accroît lorsque nous les découvrons à la base de presque toutes les doctrines actuellement en honneur chez le public. Un jeune critique d'art poussait dernièrement l'étourderie jusqu'à affirmer : « Il n'y a pas la Peinture ; il n'y a que des Peintres. » Qui a lu Cennino-Cennini, le Vinci, Delacroix même, ne peut sans sourire entendre pareille sentence, et demeure interdit lorsqu'il lit ce passage de Gauguin : « Vous serez toujours à même d'arriver à la précision si vous y tenez ; le métier vient tout seul, malgré soi, avec l'exercice, et d'autant plus facilement qu'on pense à autre chose que le métier. » Voici, exprimé sous la plume d'un peintre, le vœu du plus vulgaire des publics. En effet, que nous rabâche- t-on aujourd'hui, sinon qu'il faut que l'artiste peigne comme l'oiseau chante, sans y penser, en puisant dans ses sensations, comme s'ils en pouvaient sortir par génération spontanée, les éléments de son langage ? Ailleurs, nous lisons ceci : « Le tout est àd^nsle droit chemin, c'est-k-diie celui qui est en soi, n'est-ce pas ? Et dire qu'il y a des écoles l ! ! pour apprendre à suivre la même route que son voisin. » Ce qui est sympto- matique dans cette dernière phrase, ce n'est pas tant le mépris des écoles, nécessaires cependant, mais dont il est vrai que la meilleure, aujourd'hui, ne vaut pas grand'chose, — que cette peur de ressembler au « voisin ». L'originalité à tout prix, voilà le tourment de Gauguin et celui dont héritèrent nos peintres modernes. Préjugé romantique s'il en fût. Imagine-t-on Raphaël révolté contre l'enseignement du Pérugin ? On le voit plutôt appliquant sans inquiétudes ni remords un métier acquis, anonyme à l'expression de sen- timents personnels.
Le malentendu provient de ce que l'on confond, dans tous les arts, esthétique et technique. Celle-ci n'est qu'un moyen qui, sous des variations seulement apparentes, est conditionné
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