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LA DÉCADENCE DE LA LIBERTÉ[1]


Nous avons combattu « pour le Droit et pour la Liberté ».

Je ne comprenais pas d’abord très bien le sens de cette formule ni toute sa portée ; elle me paraissait vague et abstraite ; elle n’exprimait que très imparfaitement l’objet de mon enthousiasme guerrier. Si l’on m’eût un peu poussé, j’eusse probablement avoué n’y voir qu’une vaine fleur de rhétorique parlementaire.

Et sans doute était-elle cela principalement. Mais si disgraciés de la nature qu’on suppose nos hommes politiques, on ne peut leur contester un certain instinct de ce qu’il faut dire, une divination plus ou moins nette des sentiments secrets de la masse et l’art de les flatter en les traduisant. Ils n’eussent certainement pas insisté si fort sur ces notions de Droit et de Liberté, si elles eussent été véritablement sans aucun rapport avec les aspirations de ceux qu’ils voulaient entraîner au combat.

Et en effet, à force de vivre au plein milieu du peuple, à force d’épier ses paroles, de suivre et de prolonger ses pensées, j’ai distingué peu à peu tout ce qu’elles signifiaient pour lui et combien elles s’harmonisaient à ses préoccupations profondes : sans doute les exprimaient-elles à leur état de plus haute généralité, mais elles représentaient bien

  1. Cet essai est le premier d’une série de trois qui paraîtront, avec des intervalles, dans la Nouvelle Revue Française.