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leur épanouissement le plus naturel. Ces braves gens, ces voyous, ces endormis eux-mêmes, ou ces froussards, à côté de qui je vivais, tous — leurs moindres gestes le proclamaient avec évidence — c’était bien pour défendre leur droit, c’était bien pour être libres, pour rester libres, qu’ils avaient pris les armes avec une si parfaite absence d’hésitation.

C’était même pour quelque chose de plus : pour permettre aux autres peuples d’être, de rester libres ; pour obliger à le devenir ceux qui ne l’étaient pas encore. Ce qui s’était enflammé dans leur cœur à la première menace allemande, c’était plus que de la jalousie nationale, plus que le souci un peu étroit de protéger la borne de leur champ, d’interdire à l’envahisseur le sol de la Patrie. Qu’ils en eussent ou non conscience, un ancien et vaste idéal s’était réveillé, avait déployé en eux ses ailes. Des esprits biscornus comme le mien pouvaient bien en secret se proposer d’autres fins. Eux n’en connaissaient et n’en poursuivaient qu’une : l’émancipation des peuples :

Tyrans, descendez au cercueil !

La vieille phrase solennelle gardait pour eux tout son sens et toute sa saveur. C’est de toute leur âme qu’ils la clamaient, je m’en souvenais maintenant, dans les trains de mobilisation, assis, les jambes pendantes, aux portes des wagons. Visiblement, dès cet instant, elle leur disait quelque chose.

La haine des tyrans ! Que l’on songe au rôle qu’aura joué dans la formation et dans l’entretien de notre courage l’image de Guillaume, conçu comme le mauvais prince qui opprimait son peuple et le poussait de force