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de tomber dans le genre prophétique et de faire concurrence aux Allemands dans le domaine de la Geschichtsphilosophie[1].

Un point de vue plus modeste et plus positif reste possible. Sans préjuger de ses chances de réalisation, nous pouvons étudier comme un fait le nouvel idéal qui vient de naître dans le monde. Il existe, plus ou moins nettement formulé, dans des millions d’esprits. On peut le constater expérimentalement ; il s’offre et se prête à une analyse parfaitement scientifique.

Il est de première importance, pour nous Français qui sommes si mal prédisposés à le comprendre, de le contempler, au moins une fois, avec attention et impartialité. Parce qu’il est principalement celui de nos ennemis, nous ne devons pas l’ignorer ni le méconnaître. Au contraire, et du point de vue même du plus étroit patriotisme, nous avons tout intérêt à le laisser se développer tranquillement et complètement sous nos yeux. Quoi de plus important, quoi de plus avantageux que de savoir emprunter pour un moment le regard de son adversaire et que d’apercevoir ses idées sous le jour même où il les considère ?

Il faut nous rendre compte combien la liberté peut prendre, pour des esprits d’une autre complexion que le nôtre, un aspect détestable et funeste. Je me souviens d’avoir lu, dans une revue allemande, une lettre écrite du front par un jeune officier ; il y expliquait, comme tant d’autres dans les deux camps, ses aspirations, ses espoirs, l’avenir qu’il rêvait pour le monde, et sous sa plume était

  1. Philosophie de l’histoire.