chez les philosophes. On le consulte; il rend en vers ses oracles. Goethe ne sait-il pas toutes les raisons de vivre, comme Kant sait toutes les raisons d’être moral et toutes les bonnes raisons que nous avons de croire à la fusion posthume du bonheur et de la vertu. Schelling épèle les secrets de la nature, révélation vivante. Le cathoUcisme de l’école de Munich neutralise heureusement le piétisme de Kœnigsberg et le protestantisme d’Iéna.
Aussi n’y a-t-il pas place pour notre passé : le spiritualisme supprime le xviiie siècle et annihile l’expérience d’un peuple. Il appauvrit l’histoire et la rabaisse à la mesure de ses intérêts et de ses scrupules. Il oublie que Kant a été influencé par Rousseau et il le faut bien pour taire l’originalité des Confessions, modèle lucide et si peu romantique d’analyse psychologique. Il oublie que Goethe connaissait très bien Diderot. Il oublie que Schopenhauer et Nietzsche se sont nourris de nos moralistes, qu’ils ont aimé nos correspondances et nos mémoires ; autrement il eût fallu reconnaître que, même au grand siècle, les Français ont été des observateurs des mœurs indulgents ou passionnés. Il oublie d’Alembert et Condorcet. Il oublie que Voltaire, Condillac, Destutt de Tracy et Cabanis ont posé les fondements d’une philosophie de la sensibilité ; que, même pendant la Révolution, il y eut un mouvement d’idées traqué par l’Empire, étouffé par la Restauration. Il fallait bien créer la légende de l’athéisme et du sensualisme du xviiie siècle. La France devient alors un pays affaibli par de longues secousses politiques, sans sève intellectuelle, qui doit sa vie aux révélations venues d’Allemagne et d’Alexandrie. Tout au plus est-elle la