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LA PENSÉE FRANÇAISE DEVANT LA GUERRE 657

désapprendre de pleurer et de rire, il a appris la mesure dans l'expression des sentiments. Jamais il ne s'abandonne à l'ivresse de sentir. C'est qu'un plaisir d'intelligence rend plus intense encore son émotion. Il sait le prix des mouvements spontanés ; mais il n'a jamais douté que la pensée qui les arrête au passage et les retient en- closes dans une forme durable n'ajoute encore à leur prix. Il va même parfois jusqu'à rougir d'être ému ; et l'ironie légère fuse instinctivement, comme une défense.

Car l'esprit français n'est ni très sensuel ni très mystique. Il ignore la sensualité inquiète, énigmatique et pesante des pays protestants. Amoureux des lignes, des couleurs et des formes, il goûte dans les sensations une joie pure et subtile. Il est trop mobile pour être sentimental. Il y a en lui un besoin de précision et de netteté par quoi il répugne, jusque dans sa musique même, qui est musique de danse, aux inquiétudes prolongées. Pour lui le monde extérieur existe. Et, comme il est curieux, le spectacle des choses l'empêche de méditer trop longtemps et de se perdre dans la contemplation mystique du moi. Il ignore le tourment de l'infini, car il sait que là où sont les raisons véritables de vivre est aussi la joie de vivre. Sa tristesse est dans la nostalgie, dans le regret des horizons accou- tumés. Depuis Ronsard, son lyrisme intérieur et sans fièvre dit la fluctuation des désirs précis et le retour des saisons.

Aussi il est bien vrai que notre goût « s'étend tout autant que notre intelligence et il est difîicile qu'il passe au delà ». Y a-t-il lieu de le regretter ou n'est-ce pas plutôt notre privilège ? La France, où convergent les mouve- ments européens, a toujours évité la consomption des

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