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Page:NRF 13.djvu/917

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POÉSIE ET MÉMOIRE 909

Les hommes qui sont là se souviennent vaguement de l'âge où, collégiens en vacances, ils admiraient quelque amie de leur mère, une brune qui n'était pas du pays, et qui chantait cette même mélodie, avec l'ardeur trouble d'une Emma Bovary. Par un signe d'attention, par une lueur au fond des yeux, chacun témoigne du pouvoir charmant des rengaines heureuses, dont on a tort de rire et qu'il ne faut pas mépriser.

Seul un métal précieux et rare peut rester sous la mer longtemps sans s'altérer; de même, sous l'alluvion de calculs, de peines et d'oubUs que les jours y déposent, au fond de la mémoire, un beau vers luit comme un trésor perdu. Elles ne sont presque jamais indifférentes, ces choses qui sont, comme disent les conférenciers, « dans toutes les mémoires ». Celles qui sont aujourd'hui sur toutes les lèvres n'ont pas encore dépouillé la saveur de mode qui peut-être est tout leur mérite, et qui ne les fera pas vivre au delà d'un engouement passager. Comptez les chansons qui demeurent, les vaudevilles dont on ne se dégoûte pas, après les avoir chantés. Ils sont rares ; il en est pourtant.

Nous revenions, une jeune amie et moi, d'une prome- nade à bicyclette. C'était un soir de la moisson ; nous avions dû descendre de machine pour laisser passer un de « ces grands chars gémissants » sous leur richesse dorée. Les enfants et les jeunes filles, juchés sur ce dôme magnifique, chantaient en chœur. Ces solennités cham- pêtres que chaque été ramène prolongent la vie des traditions : pour les foins, pour la moisson, pour les vendanges, il est des chansons rituelles dans les provinces françaises. Mais comment dire avec quelle émotion je

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