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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE IO3

membre d'aucune société et à n'avoir jamais rien présidé. Ce n'est pas qu'il ait la puissante vocation de la vie philosophique: essentiellement c'est un individu qui a besoin de sa liberté, et qui concède aux autres toute la leur. Il représente cette sorte d'indépendance passive qui s'applique froidement à la recherche du vrai, non cette indépendance active qui s'attache comme un Montaigne à construire de soi une vie intérieure vivante et intense. Au fond il a transporté dans la politique, la morale, l'esthétique, la philosophie, le vieux méthodisme, le non-con- formisme de ses pères. D'un fonds profondément anglais, il a dit non à tout ce qui est grandeur extérieure et action de l'Angleterre. Deux vieillards en Europe, au commencement de ce siècle, avaient la même horreur de la guerre et de la violence : Tolstoï et lui. Pour Spencer l'empire Britannique, jusqu'à la guerre du Transvaal inclusivement, a été fondé par de purs flibustiers. Il n'entra dans la vie politique qu'une fois, en 1881, en fondant avec quelques amis la Ligue contre les guerres offensives, et cet effort ruina sa santé, l'empêcha de travailler jusqu'à sa mort. Il est probable néanmoins qu'en 1914, il eût été nettement et violemment pour la guerre : une telle horreur du militarisme ne fut-elle pas un des éléments les plus puissants de la résolution de vaincre où s'engagea l'Angleterre ?

Cette liberté non-conformiste lui fait dire bien des sottises en esthétique, bien des choses profondes et justes dans l'ordre politique et moral. (Il faut les chercher dans ses essais plus que dans son oeuvre systématique.) Il la garda vis-à-vis de cette société industrielle dont il avait à un certain moment paru devenir le philosophe. Dans son voyage d'Amérique en 1882 il parla aux Américains avec cette même vieille voix d'Europe que plus récemment leur faisait entendre M. Ferrero. " On ne vit ni pour apprendre ni pour travailler, mais on apprend et on travaille pour vivre. Et j'ajoutais que l'avenir tient en réserve un nouvel idéal, aussi différent de l'idéal industrialiste que celui-ci est différent de l'ancien idéal militaire. " Bien

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