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Page:NRF 14.djvu/138

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critique, et, pour employer un mot de Stendhal que M. Maurras commente à contre-sens en ne le citant pas, l’artificieux ! avec son contexte des Mémoires d’un Touriste, — la méfiance.

Que la guerre nécessite la concentration immédiate et absolue de tout le pays pour la défense et que l’état obsidional de réquisition matérielle, morale, intellectuelle doive être alors imposé par la force, cela est évident et ne saurait tomber en question. Personne d’ailleurs ne l’a mieux compris pendant la guerre que M. Maurras et son groupe. Que la paix mette fin ordinairement à cette tension, ce n’est pas moins certain. Or les lignes citées de M. Maurras s’entendent de l’état de paix officielle qui succède aujourd’hui à l’état de guerre officielle. Cet état de paix, pense M. Maurras, s’installe dans une Europe instable et surchauffée où les possibilités de guerre restent partout à fleur de sol. Il appartient aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour maintenir leur pays dans un état de vigilance et d’organisation qui permette de prévoir les éventualités et d’y parer. À eux de doser le degré de démobilisation que permet l’état politique. Mais M. Maurras ne se place qu’au point de vue de ce pouvoir spirituel dont il est lui-même un représentant qualifié. Ce pouvoir spirituel il se refuse ici à le démobiliser. Il estime que l’intelligence doit demeurer tout entière, armée de pied en cap, d’une façon permanente et pour une période dont nous ne pouvons même entrevoir la fin, au service exclusif des intérêts nationaux. Le temps selon lui est fini pour longtemps de l’intelligence libre, lumineuse, heureuse, et ne relevant que de ses propres lois, celle d’un Stendhal aussi bien que d’un Sainte-Beuve, d’un Taine et d’un Renan aussi bien que d’un Gourmont. Et vous voyez, Schlumberger, qu’il s’agit bien « d’empêcher un Descartes de s’enfermer dans un poêle pour y chercher la vérité ».

Soit. Seulement comme ce mode d’intelligence est incorporé depuis près de cinq siècles à ce qui fait l’être moral, la substance spirituelle et la beauté de la France, l’intelligence française dans cet état de mobilisation permanente risquerait bientôt non seulement de ne plus être l’intelligence, mais de